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Avril 1994: Nous, gouvernants des Nations Unies...

Dernière mise à jour : 4 mai 2021

Cinquante ans déjà... Et alors l'ONU ? c'est le titre sous lequel paraît, en avril 1994,un numéro de la revue Panoramiques fondée par Guy Hennebelle. Spécialiste et passionné du cinéma militant, il a aussi fondé la revue CinémAction. Avec Panoramiques c'est l'ouverture sur les problèmes du monde que Guy Hennebelle recherche ; un indice, le premier numéro, paru en 1991, porte sur Islam, France et laïcité, une nouvelle donne ?


Chaque numéro de Panoramiques est réuni par un coordinateur, c'est ainsi que Guy Hennebelle m'a confié de diriger le n° 15, Cinquante ans déjà... Et alors l'ONU ?, duquel est extrait : Nous, gouvernants des Nations Unies... L'instrument de la politique des grandes puissances.


L'ONU et son Conseil de sécurité furent un instrument essentiel dans l'après-guerre froide, de la guerre du Golfe, jusqu'à celle de Libye, des États-Unis et des puissances occidentales pour légitimer et légaliser les guerres et expéditions militaires. L'article est à considérer comme une entrée sur l'état du monde onusien, du système onusien, de la machine onusienne, fondée pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre. »




Avril 1994

Nous, gouvernants des Nations Unies...

L'instrument de la politique des grandes puissances

Si le Préambule de la Charte des Nations Unies s’ouvre avec ces mots qui traduisent les espoirs nés de la victoire sur le nazisme, il se conclut par ces termes sans équivoques : « En conséquence, nos gouvernements respectifs, par l’intermédiaire de leurs représentants..., et munis des pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, ont adopté la présente Charte des Nations Unies… » Tout est dit, les peuples et leurs aspirations proclamés, aux gouvernements d’en décider.


Soyons clair, il ne s’agit pas d’être lunaire est d’imaginer qu’il puisse exister, alors, comme aujourd’hui, un pouvoir universel, un parlement mondial où même une institution internationale démocratique. Reste l’inacceptable, quand les objectifs de la Charte sont bafoués par des États membres des Nations Unies, ou quand l’ONU elle-même ne s’attache pas à les respecter. Ainsi, si le Préambule affirme « l’égalité des nations, grandes et petites », les Nations Unies furent, de fait, conçues sur l’inégalité entre nations, grandes ou petites, riches ou misérables, importantes géostratégiquement ou non. Que ces raisons pèsent de tout leur poids sur les décisions prises est inéluctable ; ce qui pourrait l’être moins, c’est que dans son fonctionnement l’ONU tende non à réduire les effets de ces inégalités, mais les amplifie.


Le fait que la machine onusienne apparaisse comme l’instrument des politiques des grandes puissances est certainement l’une des raisons premières de son discrédit. Les exemples sont nombreux d’une ONU, lapin sorti du chapeau du magicien, qui apporte la paix, la démocratie et la liberté pour se retrouver, conséquence des avatars et des imbroglios de la realpolitik, ce « machin » - selon le mot de de Gaulle - que les gouvernements ignorent et auquel ils ont recours au gré de leurs desseins et selon les besoins de leurs politiques, ce lieu privilégié des calculs, des tractations ou des intrigues de diplomates, technocrates ou bureaucrates internationaux, au sein de laquelle les décisions prises et plus encore celles appliquées répondent aux intérêts des plus forts.


Présentée, après le bouleversement des rapports est-ouest, comme le garant du « nouvel ordre mondial », ses nouvelles donnes n’ont en rien changé cette dépendance, celle-ci, au contraire, n’est jamais apparue aussi évidente et la déconsidération qui en résulte pour la plus haute instance internationale légitime la question souvent posée de sa mission, voire de son utilité. L'Organisation des Nations unies ne paraît en effet pas en mesure de faire face aux périls de tous ordres, politiques, économiques, sociaux, humanitaires, écologiques, scientifiques, et culturels qui menacent aujourd'hui la communauté mondiale. Elle ne dispose ni de l'autorité ni de l'autonomie de décision nécessaire pour ce faire.


Il ne s'agit pas de nier certaines de ses contributions, par exemple son rôle auprès de réfugiés (faut-il encore qu'il ne s'agisse pas de populations déplacées à l'intérieur de leur propre pays, ou de réfugiés économiques, le Haut Commissariat pour les réfugiés n'étant pas habilité à intervenir pour ceux qui sont dans cette situation), l'élaboration de textes sur les droits de l'homme (signés par certains États, sans qu'ils soient toujours ratifiés, et surtout sans que l'ONU dispose de moyens réels pour intervenir quand ils ne sont pas respectés), ses dispositions prises pour la lutte contre la drogue, le SIDA, ou pour la sauvegarde de sites culturels et historiques ou encore en tirant la sonnette d’alarme quand la famine décime des populations, mais l’esclavage des enfants se perpétue et se profilent de grandes menaces qui touchent à l'environnement.


Il ne s’agit pas non plus de contester les compléments et améliorations juridiques apportés aux documents fondamentaux de l’Organisation, mais il demeure que l’action et le rôle des Nations Unies n’échappent pas aux règles et aux lois qui régissent les rapports de force internationaux. Que pouvons-nous constater par exemple à propos de son rôle premier selon la Charte : « maintenir la paix et la sécurité internationales » ?


Le ver est dans la pomme : La tutelle des « chiens de garde ».


Des débats souvent très âpres marquèrent la conférence de San Francisco et ses préparatifs,1 mais la naissance de l'ONU en octobre 1945 était porteuse d’espoir ; le Japon avait capitulé moins de deux mois auparavant, la défaite des puissances de l'Axe et de l'ordre nouveau fasciste était complète, et l'on se fondait sur l'expérience de l'échec de la SDN pour mettre en place une organisation en mesure de résoudre les conflits internationaux en la dotant de pouvoirs plus étendus. Rien de plus logique à ce que les vainqueurs veuillent y faire prévaloir leurs valeurs, fallait-il pour autant mettre l’ONU sous tutelle ?


Les Nations Unies sont l'aboutissement d'un processus engagé par les États-Unis et la Grande-Bretagne le 14 août 1941 avec la signature de la Charte de l'Atlantique, qui devint partie intégrante en janvier 1942 de la Déclaration des Nations unies. Lors de la conférence de Téhéran en 1943, États-Unis et Grande-Bretagne s'adjoignent l'Union soviétique et décident de rédiger un projet de Charte et un plan de fonctionnement de la nouvelle organisation. Selon la proposition faite alors par Roosevelt, « quatre chiens de garde » devaient avoir la responsabilité d'assurer la paix mondiale : les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Union soviétique et la Chine de Tchang Kaï Tchek.


D'août à octobre 1944, une commission composée de représentants de ces quatre pays se réunit à Dumbarton Oaks pour concrétiser la Déclaration de Moscou du 30 octobre 1943 qui préconisait « une organisation internationale fondée sur l'égalité souveraine de tous les États pacifiques et ouverte à tous les États grands et petits ». C'est lors de ces entretiens que la France s'est vu accorder le titre de « cinquième grand ». Les problèmes non résolus à Dumbarton Oaks, en particulier les critères d'admission, les procédures de vote - avec la question essentielle du droit de veto -, et héritage de la SDN, la question des pays sous tutelle, furent débattus et « réglés » lors de la conférence de Yalta qui se tint deux mois avant celle de San Francisco. Conçue et mise en place par les grandes puissances alliées avec l'idée affirmée qu'il leur revenait la tâche de conduire et régenter le monde, la nouvelle organisation ne pouvait être que le reflet des stratégies respectives et des contradictions qui opposaient ces grandes puissances dans l'après-guerre.


La Charte elle-même, avec le droit de veto, ratifie le rôle de grand ordonnateur que revendiquent celles-ci en leur donnant le moyen de s’opposer à toute décision allant à l'encontre de leur politique et de leurs intérêts. Disposition fondée sur le rapport des forces au sortir de la Seconde Guerre mondiale, elle n’en fait pas moins entorse au principe de l'égalité entre les peuples.


À ce pouvoir statutaire, s’ajoute celui de l’argent ; les pays riches, qui financent pour l'essentiel le fonctionnement de l’ONU, sont en mesure de réduire les budgets des institutions moins dociles à leur volonté, voire d'abandonner leur siège et de suspendre totalement leur contribution financière à l'exemple des États-Unis et du Royaume-Uni qui quittèrent l'UNESCO dans le moment où l'on y débattait notamment d'un « nouvel ordre de l'information et de la communication », contestant, entre autres, le monopole des grandes agences d'information.


S’ajoute le pouvoir de la caste des hauts fonctionnaires internationaux dont la carrière doit souvent beaucoup à leur capacité à respecter les intérêts des États les plus puissants et les plus riches (s'il y a d'honorables et courageux exemples qui démentent ce fait, cela ne confère que plus de mérite à ceux qui osent faire montre d’exemplarité et d'indépendance).


Là réside le pourquoi et le comment des décisions prises ou des refus d’entrée en matière, la mise en application des résolutions ou leur oubli dans les méandres des clauses juridiques, les pas en avant accomplis en un lieu et l’immobilisme coupable en un autre. L’inflation de résolutions, pas plus que la multiplication des missions de maintien de la paix, après la « fin de la Seconde guerre mondiale » au début des années 90, n’a en rien changé ce fait.


Des résolutions sans effets... aux effets des résolutions.


Il ne s’agit nullement d’ignorer ni de sous-estimer le fait que l'indépendance de la Namibie est à l’actif de l’ONU,2 le cessez-le-feu au Salvador proclamé sous son égide, ou que les choses se passent plutôt bien que mal au Cambodge.


Il n’est pas négligeable que l’Assemblée générale ait adopté à l'initiative du groupe des « 77 » (les pays du tiers monde) la Charte sur les droits et les devoirs économiques des États ou qu’ait été rédigée la Déclaration sur le nouvel ordre économique international. Même si, faut-il le préciser, ces textes n’ont pas connu le début d'une mise en application. Débat il y a eu.


Il est tout aussi important que l'ONU soit un lieu qui parfois permette à de petits États ou à des mouvements de libération nationale de faire entendre leur voix : rappelons le rôle joué par Mohamed Yazid pour le FLN algérien, le discours à l'ONU d'Arafat ou la reconnaissance officielle du mouvement de libération du Sud-Ouest africain, la SWAPO. Demain, les Indiens mohawks du Canada, les représentants du peuple kurde, le mouvement de libération de Timor auront peut-être aussi, à leur tour, ce droit à la parole ?


Sur le terrain de l’action humanitaire et pour la santé, le constat des carences et des gaspillages administratifs ne permet pour autant de dire qu’il n’y a eu ni assistance ni secours ni de contester l’engagement courageux de délégués et représentants de l’ONU.


Le rôle positif des Nations Unies ne se limite pas à ces quelques exemples, il est à souligner que l’opinion sur l’ONU est souvent plus favorable dans les pays en développement que dans les pays industrialisés, les gens y voient encore un lieu de recours, ceci n’est pas à ignorer.


Mais la liste est longue des résolutions non appliquées, montrant une ONU impuissante à imposer des décisions prises en son sein pour « la paix et la sécurité internationale ».


Depuis 1947, après que l'Angleterre eut abandonné sa compétence sur la Palestine à l'ONU, combien de résolutions (qu’il s’agisse des territoires occupés, de l’internationalisation de Jérusalem, de l’annexion du Golan, du respect des populations civiles, etc.) ne furent jamais appliquées ou seulement après de nombreuses années, combien d’autres n’ont pas été adoptées du fait de l’usage du droit de veto ? Le droit à l’existence d’Israël devait-il justifier tant d’atermoiements qui ont nourri la désespérance ? Aujourd’hui, s’il faut se féliciter que les adversaires se parlent directement, il reste que l’ONU, dans le cadre de laquelle fut prise le 29 novembre 1947 la décision du partage de la Palestine en un État arabe, un État juif et de l’internationalisation de Jérusalem, ne se voit même pas attribuer un rôle de figurant dans les étapes du processus engagé. Il reste à souhaiter que les aléas et imbroglios de la realpolitik n’obligent pas les rois mages à recourir aux Nations Unies si demain la confrontation venait à nouveau à l’emporter sur le processus de dialogue.


La paralysie de l’ONU est patente également au Cachemire où elle n'est jamais parvenue à faire appliquer le référendum décidé en 1949 sur l'autodétermination de cette région, alors que ce volcan en activité, du fait de la conjugaison d'un état de misère effrayant, de l'affirmation d'une identité islamique qui se radicalise, et de la brutale répression que subit le mouvement autonomiste, peut à tout moment se réveiller avec une puissance déstabilisatrice imprévisible conjuguée, on le sait, au risque d’une guerre atomique.


Depuis 1962, les Kurdes ont demandé à l’ONU que leur droit à l’autodétermination soit reconnu. Ce droit leur reste ignoré, la question kurde touchant à « l’intégrité » de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak, de la Syrie et de l’Union soviétique (aujourd’hui de l’Arménie). Il a fallu en 1988 l’emploi d’armes chimiques contre des villages kurdes et après qu’ils eurent été incités à la rébellion, la tragédie de leur exode massif en 1991, pour que soit invoqué en leur faveur le « droit d’ingérence humanitaire », sans que la question de leur droit à l’autodétermination ne soit jamais posée.


À Chypre, les forces de l'ONU stationnées depuis mars 1964 n'ont pas permis en 1974 d'éviter la division de l'île et la proclamation en 1983 d'une République turque de Chypre qu’aucun autre État que la Turquie ne reconnaît. Pourtant la sécession de l’île se perpétue, un brûlot qui s’ajoute à tant d’autres dans la Méditerranée orientale.


En décembre 1968, après le bombardement de l’aéroport de Beyrouth, le Conseil de Sécurité condamne pour la première fois un acte de guerre à l’encontre du Liban, les résolutions se succéderont sans éviter le pourrissement de la situation. Dix ans plus tard, en mars 1978, on décide l’envoi de Casques bleus, force tampon pour « rétablir la paix et la sécurité au Liban du Sud » ce qui n’empêchera pas en 1982 l’avancée des blindés israéliens jusqu'à Beyrouth, les affrontements armés entre organisations intégristes et l’horreur des massacres de Sabra et Chatila.


Au Sahara occidental, la Cour internationale de justice, consultée par l'ONU, a rendu dès 1975 un avis favorable à une procédure d'autodétermination dans le Sahara occidental. Les Sahraouis sont toujours dans l'attente, en application d'une résolution votée en 1985, de l'organisation du référendum programmé pour janvier 1992. Notre ami le roi ne manque pas d’alliés pour lesquels les droits du peuple sahraoui sont quantités négligeables.


À Timor, l’Indonésie se voit condamnée à l’ONU depuis 1975 pour l’annexion de l’île et la brutale répression du mouvement indépendantiste. Plusieurs résolutions de l'ONU ont condamné l'Indonésie, mais de nombreux pays, au premier rang desquels les grandes puissances, font obstacle depuis 1982 à ce que la question du Timor oriental soit évoquée par l'Assemblée générale afin de ne pas gêner leurs bonnes relations économiques avec l'Indonésie. Les massacres continuent et l'Indonésie a même obtenu en 1990 un siège à la sous-commission de l'ONU sur les droits de l'homme...

Enjeu du conflit Est/Ouest, l’accession à l’indépendance de l’Angola en 1975 ne met pas un terme à la guerre civile. Base arrière de la SWAPO,

l’Angola subit de surcroît les conséquences de l’agression militaire de l’Afrique du Sud sur son territoire, agressions que l’ONU se contente de condamner verbalement. Pourtant la SWAPO est reconnue depuis 1973 par les Nations Unies comme la seule organisation représentant le peuple namibien. En 1990, la proclamation de l’indépendance de la Namibie permet à l’ONU d’engager, après 16 ans de guerre, un processus de paix en Angola avec la tenue d’élections sous son contrôle, mais ce processus vole en éclats sitôt le résultat des élections proclamé avec la rébellion de l’UNITA. Si le Conseil de sécurité a adopté une résolution affirmant que « toute partie qui ne respectera pas les engagements pris sera rejetée par la communauté internationale », l’UNITA n’en poursuit pas moins sa guerre pourtant qualifiée par le Secrétaire général des Nations Unies « de conflit le plus meurtrier du monde » ; qui peut croire que le boycotte à l’encontre de Savimbi peut y mettre fin ?


Dans l’ex-Yougoslavie, l’ignominie que couvre l’action de l’ONU, à laquelle il est donné le rôle et les moyens d’une dame de charité, n’est que le miroir de l’ignominie du cynisme des puissances qui décident du monde et de son partage. D’évidence, là comme ailleurs, si des États portent la responsabilité de la situation créée, la faute première n’en revient certes pas à l’ONU, mais il s’agit là aussi du cycle infernal d’une ONU instrument de gouvernements maîtres du jeu. Peut-on admettre son impuissance ?


S’il est une conséquence absurde et terrifiante de cette réalité, c’est bien la Somalie où une action « humanitaire », sous le patronage de l’ONU, avec l’envoi d’une mission militaire pour « rendre l’espoir » à des populations affamées, se transforme en opération de guerre. L’échec de la machine médiatique de « paix » américaine consommée, c’est aux forces de l’ONU, l’ONUSOM, de prendre le relais et de mener des actions répressives contre un peuple un peu moins affamé, peut-être, mais en perdition, et pour lequel les Casques bleus retranchés prennent le visage hideux de l’occupant.


La loi des Grands, de l’usage ou non du droit de veto.


Droit de veto oblige, si l’un des Grands est directement impliqué toute décision est bloquée au niveau du Conseil de sécurité et seule une condamnation morale par l’Assemblée générale est possible. Il en fut ainsi lors des guerres du Vietnam et d'Algérie, de la crise de Cuba, de l'invasion de la Tchécoslovaquie, de la Grenade, de Panama, de la Hongrie ou du conflit des Malouines. Elle reste étrangère à la question irlandaise (à l'exception de l'enregistrement au secrétariat de l'ONU de l'accord de Hillsborough).


Il en est de même lors de confrontations où les intérêts des grandes puissances s’opposent. L’ONU est absente en 1971, lors du conflit du Bengale et de la guerre entre l'Inde et le Pakistan, les politiques de l'Union soviétique, des États-Unis, de la Chine et de la Grande-Bretagne étant divergentes. Elle se voile la face durant les 30 mois de l'effroyable guerre civile au Biafra de 1967 à 1970 où Américains et Français d’un côté, Anglais de l’autre s'affrontent pour l'exploitation du pétrole nigérien.


Il est des cas où au contraire l’intervention de l’ONU est apparue beaucoup plus opérante. Par exemple pour régler en 1962/1963 la sécession du Katanga. En effet, la force internationale de l'ONU s'est montrée plus active à défendre l'unité du Congo, Adoula ayant accédé au pouvoir, qu'elle ne l'avait été deux ans auparavant quand Lumumba était à la tête du gouvernement congolais. Bien que Lumumba ait lui-même fait appel à l'ONU, c’est son élimination qui permit l'abandon de la politique dite de « stricte neutralité » dont elle se réclamait jusqu'alors, face l'imbroglio des différentes sécessions. « Stricte neutralité » qui laissait en fait le champ libre aux agissements respectifs des États-Unis, de l'Angleterre, de la France, de l'Union soviétique (et de la Belgique) pour le contrôle du Congo, convoité pour sa situation stratégique et ses grandes richesses minières.3


On doit aussi à l'ONU le coup d'arrêt mis à l'intervention anglo-française de Suez contre Nasser en 1956, rendu possible par le brutal lâchage de la Grande-Bretagne et de la France par les États-Unis, Foster Dulles ayant fait accepter par le Conseil de sécurité une résolution « contre toute utilisation de la force au Moyen-Orient » et, dans la foulée, une résolution à l'Assemblée générale demandant un cessez-le-feu immédiat. L'Angleterre et la France firent bien usage de leur droit de veto, mais la condamnation commune des États-Unis, de l'Union soviétique, et des nations du tiers monde, dans le contexte de l'après-Bandoeng, les obligeaient, en grandes puissances de second rang, à céder à la pression et à accepter le cessez-le-feu.


Les deux guerres des Nations Unies.


À deux reprises, les Nations Unies ont été engagées dans des opérations militaires de grande envergure. La première fois en 1950 avec la guerre de Corée. La guerre froide est à son paroxysme et, après que des troupes nord-coréennes eurent franchi le 38e parallèle, le Conseil de sécurité décide « de mettre tous les moyens à leur disposition au service de la Corée du Sud. » Décision rendue possible du seul fait que l'Union soviétique boycotte alors les travaux du Conseil de Sécurité, qui a refusé la demande d’admission de la Chine populaire en lieu et place de la Chine nationaliste, et n’a donc pu faire jouer son droit de veto.


Quarante ans plus tard, après l'invasion du Koweït par l’Iraq, dans la situation de l’effondrement de l’empire soviétique, les cinq Grands disposants du droit de veto adoptent une position commune, conforme à la position soutenue par le plus grand d’entre eux, et décident d’engager l’opération « tempête du désert ».


Ces deux guerres de l’ONU ont deux points communs. Le premier, les résolutions légalisant l’intervention militaire n’ont pu être prises que dans un contexte donné, que l’on peut qualifier d’exceptionnel, le second, la conduite des opérations n’a pas été confiée à un commandement relevant des Nations Unies.4Là s’arrête tout parallèle entre les deux expéditions. La guerre de Corée fut un affrontement armé direct entre les deux blocs, pouvant à tout moment dégénérer en conflit mondial, conflit dans lequel furent engagés des millions d’hommes ; une guerre qui se prolongea pendant trois ans, de 1950 à 1953, qui fit près de 1 500 000 victimes (dont près de 100 000 soldats des forces de l’ONU). Les opérations contre l’Iraq, s’inscrivent dans un tout autre rapport de forces, où pour la première fois l’ex-URSS et les États-Unis coopèrent. Il s’agit d’une guerre « technologique, propre, médiatisée », ce qui n’allège en rien les souffrances des victimes ; en quinze jours militairement tout est terminé, le pouvoir koweïtien est restauré.


Enfin, faut-il ajouter, pour souligner les limites du rôle attribué à l’institution, le fait que les pourparlers pour les accords sur le désarmement (toutes les résolutions adoptées n’y changent rien) se déroulent de fait en dehors de ses instances et sont, pour l’essentiel, le résultat d'entretiens bilatéraux entre les deux « grands » ou entre les autres puissances nucléaires, alors même qu'il s'agit selon les textes de la Charte de l'une de ses attributions fondamentales et qu'en dépendent l'indépendance et la sécurité de chaque État.


Le constat est criant, les décisions de l'ONU sont soit marquées du sceau des situations conflictuelles entre grandes puissances, soit le reflet de leur connivence du moment. Celles-ci se couvrent de son label quand cela est possible et quand cela leur est utile ; dans le cas contraire, elles bloquent son fonctionnement ou agissent dans un autre cadre de leur choix.


Un autre développement, un nouvel ordre international, il y a plus de vingt ans que la question est posée au sein des Nations Unies,5 les bouleversements récents qui ont modifié la carte du monde, au contraire de ce qui a été affirmé, n’ont en rien changé les logiques et les attitudes de ceux qui s’y opposent, au contraire ils imposent avec encore plus d’autorité et d’arrogance leurs règles économiques et leur leadership politique. 6


L’ONU doit-elle être cet instrument sous tutelle qui intervient ou reste impuissante en fonction d’intérêts d’États particuliers, ou doit-elle être en mesure de disposer d’une autonomie d’action fondée sur les principes sur lesquels elle a été fondée. Poser la question c’est y répondre, mais nullement résoudre cette quadrature du cercle.



Face à ces défis, l’ONU branche de salut ?


Ce sont là des défis de notre fin de siècle. Encore faudrait-il, pour que ces défis soient relevés, que les capacités politiques qui nous dirigent, les moyens économiques et financiers dont nous disposons, et les valeurs morales qui prévalent nous permettent de poser puis de résoudre en partie ces problèmes.


La réalité s'avère différente, les gouvernements conduisent à vue et se trouvent dans l'incapacité de prévoir la brèche qu'il leur faudra colmater le lendemain. La crise de tout projet de société se manifeste dans le « chacun pour soi », ou le refuge sous des oripeaux intégristes, ce qui ouvre le champ libre aux pires dérives. Il s'agit donc bien de « s'accrocher aux branches » ; et si l'une de ces branches, même pourrie, était l'ONU ? Des gens du sérail posent le problème : malgré tous ses défauts, le système des Nations Unies est unique et ne peut être ni reproduit ni réinventé : « C'est le seul système universel dont on dispose » et d’ajouter 7 : « Il lui faut maintenant répondre non seulement aux exigences des gouvernements, mais aussi aux espérances croissantes des peuples du monde. »


À l’évidence, l'ONU doit « s'adapter à ce monde qui change ou courir le risque de perdre sa crédibilité dans des domaines importants de l'activité humaine ». Une démarche s’impose pour tenter d'améliorer le fonctionnement de la machine onusienne et que soient mieux respectés les objectifs pour lesquels elle a été fondée. Mais, on le sait, modifier tant soit peu son fonctionnement, qu’il s’agisse de la composition du Conseil de sécurité, de la désignation de ses secrétaires généraux et directeurs, du droit de veto, des règles qui régissent les organisations du système des Nations Unies, reste confiné à des mesures procédurales ou alors signifierait un changement, souhaité ou imposé, de l’équilibre du monde.


Foin d'utopie, l'Organisation des Nations unies n'est pas une organisation d'états unis, elle ne peut être un parlement mondial, elle est et restera une assemblée de gouvernements dans un monde profondément déstabilisé où les ambitions, les égoïsmes, l'irresponsabilité, le cynisme et le manque de clairvoyance et de courage conduisent trop souvent la diplomatie des grands comme des petits États. Dans ce jeu elle reste le plus souvent condamnée aux utilités, en son sein, il n'est encore de voix que celle du plus puissant.


Nous ne sommes pas en 1920 ni en 1945 ; la paix universelle ne s'inscrit pas dans les aspirations des idéologies rationnelles ; imaginer une telle capacité du rôle de l'ONU serait perpétuer un rêve, nourrir les désillusions et les renoncements de demain, ouvrir plus encore le champ à l’impudence. Si changement il peut y avoir, il s’agit d’abord de modifier le rapport de force inégal qui s'exerce en son sein, pour mieux faire balance aux puissances économiques, financières et militaires.


Elle n'en est pas moins un lieu où se décide une part de notre avenir, elle pourrait même s'avérer demain un des derniers recours pour éviter au monde de dépendre du ou des états qui voudront s’ériger en système millénaire ou imposer leurs intégrismes. Il peut donc être raisonnable, face aux menaces présentes et à venir, de vouloir que l'ONU demeure un lieu d'échanges, de contacts et de décisions collectives et non un lieu de ralliés à son panache bleu qui nous ramène au temps de la politique de la canonnière, il n’y a pas de bon leadership. S’il doit en être ainsi, le discrédit jeté sur elle n'en sera que plus grand et il y a peu à parier sur son avenir.


Qui aujourd'hui ose croire qu'il y ait place pour redonner un projet à l'ONU ? Pour un aménagement de son fonctionnement partant d'une volonté politique des gouvernements ? Pour que l’institution et les hommes qui la dirigent montrent une capacité d’autonomie ? L'ONU est aux ordres, les verrous sont solides et vouloir aménager l'ONU ne revient-il pas à vouloir transformer le monde ?


Retour à la case départ, au préambule de la Charte qui en appelle à « Nous les peuples ». Une fois le constat fait de la désespérance qui domine, il ne s'agit pas dans ce contexte de s’en tenir à des discours unanimistes sur le monde de demain, sur la paix mondiale, sur le droit international, sur une conception universelle des droits de l'homme, de croire que l’ONU sera jamais la panacée, mais ne pourrait-elle être un lieu où l'on débatte du désordre international. Car c'est bien en termes de désordre que nous devons poser les problèmes nationaux, économiques, sociaux, culturels qui partout divisent et déchirent, sachant que les « équilibres » et les «consensus » fondés sur les rapports de force d'aujourd'hui seront certainement de peu de valeur demain.


Une ONU qui sert davantage à une approche du désordre, celui que connaissent les peuples, et non plus uniquement à faire prévaloir l’ordre des gouvernants. Utopie quand tu nous tiens, à défaut, il faut se convaincre que la mort du « machin » pourrait bien être un peu de notre fin, alors « nous les peuples » sur ce débat comme sur d'autres, il serait bon de faire montre de raison et d’intervenir !



1Où se sont réunis le 24 avril 1945 pour fonder l’ONU les 47 États ayant, avant le 1er mars 1945 déclaré la guerre à l’Axe. La Charte est signée le 26 juin par les 50 membres fondateurs des Nations Unies présents. La Pologne qui la signa ultérieurement fut considérée comme le 51ème membre fondateur.

2Sans oublier de rappeler que la décision de mettre fin au mandat de l'Afrique du Sud sur le Sud-Ouest africain, où elle imposait l'apartheid, a été prise en 1966 et que ce sont les convergences de vues américano-soviétiques et l'évolution intérieure du régime sud-africain, plus que les pressions de l'ONU, qui en 1988 créèrent enfin les conditions d'un compromis (combiné à un accord sur le départ des soldats cubains de l'Angola) et permirent à la Namibie d'accéder en 1990 à l'indépendance.

3 Alors même que Lumumba fut, après son arrestation, emprisonné à Thysville où l'ONU avait des observateurs, rien ne fut entrepris pour obtenir sa libération et après son assassinat, la commission d'enquête de l'ONU n'eut pas plus « l'honneur » d'être reçue par Mobutu qui avait procédé à son arrestation, que part Tshombé, pour obtenir quelques explications.

4Lors de ces deux guerres sous la « bannière » des Nations Unies, l'armée américaine composa l'essentiel des troupes d'intervention et les contingents des autres pays furent placés sous commandement américain, les généraux Mac Arthur, Ridgway plus Clark en Corée, Schwarzkopf contre l'Irak.

5Voir Que Faire ?, rapport présenté lors de la septième session extraordinaire de l’Assemblée générale en 1975, intitulé rapport Dag Hammarskjöld.

6 Il n'est pas sans intérêt de souligner que le Fonds Monétaire international et la Banque mondiale, bien qu'appartenant au système des Nations Unies, n'agissent pas de façon coordonnée et fonctionnent non pas selon le système un État / une voix, mais selon la règle de la pondération des voix en fonction de leur quote-part au capital de l'organisme, ce qui assure un pouvoir de décision absolu aux pays développés. Ainsi au FMI, huit pays peuvent imposer leurs vues à l'ensemble des États membres, et les États-Unis sont le seul État y jouissant d'un droit de veto.

7Une direction énergique pour le monde de demain, par Brian Urquhart et Erskine Childers, Development dialogue, Fondation Dag Hammarskjôld et Fondation Ford, 1990.

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